Hommage à Claude DUVIGNAU

 

 Cher Claude, permettez-moi d’utiliser ce « cher Claude » afin de me rapprocher encore un peu plus de vous, en ce jour bien triste.

 Sur l’invitation de votre fille Nadine, cette intervention très simple, dépouillée, mais ressentie avec sincérité, cœur et amitié, sera notre hommage, au nom de quelques amis très lotistes et de tous ceux qui voudront bien s’y reconnaître et s’y joindre.

 Pour la partie de votre vie qui nous a rassemblés, le sujet principal était bien évidemment Pierre Loti, votre célèbre arrière-grand-oncle. Mais Pierre Loti, on le sait, même s’il n’y a jamais vécu, est étroitement mêlé, imbriqué, entrelacé avec cette « maison des aïeules », dont vous en étiez le vigilant gardien !

 A l’image de cet inséparable duo, que vous avez progressivement constitué entre vous et cette « maison », tellement chargée de multiples histoires, vous avez également hérité, de votre père, cette précieuse consigne, peu banale, jusqu’à la fin de votre vie, de « filtrer » les visiteurs qui viendraient à utiliser le heurtoir de ce célèbre porche…

 C’est donc en duo que j’ai souhaité vous rendre cet hommage. Et l’ami Didier Catineau, qui vous aimait tant lui aussi, n’a pas hésité une seconde à partager avec moi ce moment de recueillement, de respect, nous avons rassemblé, parmi nos souvenirs, quelques moments précieux ou anodins, mais tous très enrichissants.

 Nos premières rencontres

 Pour notre part pendant quelques années et précisément avec le concours de Didier, mon épouse et moi, avons assuré la fonction de secrétaire de l’association pour la maison de Pierre Loti, à Rochefort. Et c’est dès l’année 2000 que nous nous sommes croisés et avons commencé à échanger sur l’illustre écrivain et sur cette « maison des aïeules » devenue célèbre par ses écrits.

 Puis au gré de diverses manifestations lotiennes, notamment celles ayant pour cadre cette demeure, nous avons prolongé et approfondi cette rencontre. Ensuite c’est à partir de 2005, que nous avons eu des visites plus régulières avec vous et votre discrète et charmante épouse, toujours dans cette maison qui nous devenait de plus en plus familière et attirante. 

 Très chaleureuses, nos rencontres balayaient de larges éventails de discussions, sans oublier les mystérieux souterrains qui tantôt nous sortaient du bourg en direction de Sauzelle, tantôt nous débarquaient au beau milieu du château de Bonnemie ! Mais souvent, ces échanges étaient très studieux et nous vous mettions, cher Claude, à contribution pour nous préciser tel détail sur votre grand-mère, Nadine, ou tel autre sur vos tantes, elles aussi immortalisées en « les chères totottes », quand ce n’était pas sur Pierre Loti lui-même, dont vous connaissiez remarquablement bien toute son œuvre.

 

Comme mon ami Daniel Laroche, je me permettrai la liberté de vous appeler Claude.

 Nous sommes en terre de Saintonge, en Oleron la lumineuse chantait notre barde Goulebenéze qui, en d’autres temps, rendit hommage à Pierre Loti et à « la maison des aïeules » dans « Bonjour Saintonge » :

 

« … C’est l’île d’OLERON, c’est l’île lumineuse

 Où le mimosa d’or fleurit malgré l’hiver

 Auprès des maisons blanches... c’est la grande charmeuse

 Où LOTI, éternel voyageur de la mer

 Oubliant pour toujours Madame Chrysanthème

Chantre de Ramuntcho et chantre du soleil,

Dans l’enclos des aïeux est revenu quand même

 Reposer sous un myrte en un dernier sommeil ! … »

 

Claude, il y a près de 20 ans que nous nous connaissons. Mes racines sont saintongeaises et je vis en Saintonge, au cœur. Je connaissais Goulebenéze bien sûr, mais bien mal Pierre Loti malgré ma rencontre lumineuse avec Alain Quella-Villéger, le spécialiste du « maître ».

 Lorsqu’il y a 20 ans, je décidais de changer de vie et de m’installer libraire-éditeur à Rochefort, ma première préoccupation fut de créer un rayon, le plus large possible, des œuvres de ce rochefortais célèbre et de les proposer à tous les amateurs venant, à mon grand étonnement, de presque tous les pays du monde.

 Et un matin, dans le catalogue d’un confrère, je découvre la perle rare : « La maison des Aïeules » suivie de « Mademoiselle Anna très humble poupée », une édition superbement illustrée par André Hellé et datant de 1927. L’ayant acheté, j’ai cherché pendant quelques années à le rééditer à l’identique. Mes démarches furent longtemps infructueuses jusqu’à ce que je rencontre un éditeur voulant bien se charger de prendre le risque financier de livrer à nouveau ce magnifique ouvrage à la curiosité des lecteurs.

 Je ne connaissais alors de « la maison des aïeules » que ce que j’en avais entendu dire : une tombe au fond d’un parc, peu de visiteurs autorisés à franchir la porte et c’est à peu près tout.

 Claude, vous avez de belle manière enrichi cette réédition par une présentation de votre maison, « nous » donnant ainsi un viatique indispensable en votre qualité de membre de la famille du célèbre écrivain. Je dois dire que votre accueil fut « décomplexé » et même formidable et je basculais à ce moment même dans le monde de cette « planète » Loti dont vous en étiez indéniablement un des gardiens des plus avisés et bienveillants.

  

Claude et « l’exactitude »

 Vous preniez très à cœur votre rôle de « conservateur » de la vérité, sur tous les sujets touchant votre famille et cette maison, en intervenant chaque fois que nécessaire pour apporter un correctif sur telle phrase d’un livre ou sur tel article d’un journal, ou sur une date erronée !

 Durant nos toutes premières rencontres, j’ai vite constaté combien vous étiez très attaché à l’exactitude des faits, des noms, des dates. Cela était pour vous presqu’une raison de vivre et notamment sur la longue lignée des mariages de vos ascendants, entre protestants et catholiques, qui avait fini par vous obliger à préciser toutes les erreurs constatées ici ou là. Vous aviez ainsi rédigé quelques pages, pour remettre tout cela en place et nous les avions fait paraitre dans le bulletin de l’association de Rochefort d’avril 2001.

 Ou encore à éradiquer, les unes après les autres, les curieuses légendes, plus ou moins farfelues, qui circulaient sur l’inhumation de votre arrière-grand oncle.

 Vous aimiez, me semble-t-il, mettre en pratique cette critique, toujours au nom de l’exactitude, à laquelle vous pouviez ajouter ce grain de rébellion qui faisait tout votre charme et montrait à tous ceux qui vous ont croisé que vous n’étiez pas de ceux qui acceptent tout sans rien dire !  

 Et puisque nous en sommes aux précisions, rectifions sans plus attendre, deux erreurs contenues dans l’article de Sud-Ouest : vous êtes né en 1928, et non en 1920, laissant croire que vous aviez pu rencontrer physiquement votre arrière grand oncle, ce qui n’est évidemment pas le cas et vous avez 13 petits-enfants et non 17. Voyez, cher Claude, comme nous aussi, nous veillons au grain, quand il s’agit de rétablir la vérité !

 

« La maison des aïeules » a été rééditée en 1995. Trois ans plus tard, en 1998, nous étions huit rassemblés un bel après-midi sous le « balai » de votre maison. Il y avait : Jacques Badois, le propriétaire et animateur formidable du château de La Roche Courbon, Sophie Daniel, une amie alors étudiante et consacrant sa thèse à Loti, Guy Dugas, professeur à la Sorbonne et l’un des spécialistes de Loti, Gaby Marcon, alors conservateur de la maison Loti à Rochefort, Jean Nonin, ami fidèle et dévoué, précieux chercheur et archiviste de l’œuvre de Loti, Elise Rousseau, la conservatrice de la Limoise à Echillais, le libraire que j’étais et vous, Claude, qui nous invitait tous dans une très belle aventure supplémentaire, celle du livre « Pierre Loti et son pays natal » que vous avez dirigé de bout en bout. Chaque page a été pilotée avec exactitude et rigueur par votre sens de l’observation, sans concession et toujours avec respect. Je me souviens très bien que vous aviez exigé de l’éditeur qui renâclait qu’il joigne à ce livre le texte « Judith Renaudin » de Loti. Tout le passé huguenot des lieux se trouvait dans cette pièce théâtrale et vous avez tenu bon. Quand je relis cet ouvrage, je vois à quel point vous aviez raison de défendre cette maison et votre direction fut un exemple.

 

 Claude Duvignau en « gardien du temple »

 Sans aller jusqu’à parler de « mission » il m’a parfois semblé, cher Claude, que vous accomplissiez un devoir, votre devoir, de veiller farouchement sur les « entrées et sorties » de votre demeure. Ce qui pouvait quelquefois aussi vous rendre un peu nerveux, notamment lors de visites de groupes il y a toujours quelques visiteurs indisciplinés, qui veulent, par exemple, tout photographier, alors que vous en aviez clairement annoncé l’interdiction ! …ou encore de ces passants qui tentent par tous les moyens de « jeter un œil », au-delà du célèbre porche, pour découvrir cette cour et, encore mieux si possible, apercevoir la sépulture de notre cher homme !  

 

Nous nous sommes bien évidemment rencontrés de nombreuses fois à Rochefort ou en Oleron et nous avions un véritable plaisir partagé à nos rencontres. Je savais peu de choses de votre autre vie, celle en dehors de Loti si ce n’est que vous étiez commercial, puis chargé de la formation, chez le pétrolier Total, que vous partagiez votre temps entre votre maison de Bordeaux et la Saintonge, que vos enfants et petits enfants vous occupaient beaucoup, que les repas – j’en ai partagé quelques-uns - l’été avec toute votre famille étaient de véritables oasis de sérénité et de bonheur. On y parlait des chemins de Saint-Jacques de Compostelle, des chats du voisinage explorant le jardin et mille autres sujets légers qui me faisaient penser à une parenthèse de la vie dont vous étiez l’horloger patient. Vous aviez aussi entrepris de recenser tous les tableaux de votre arrière-grand-mère Marie Bon, la sœur de Loti, et la tâche ardue qui vous attendait ne vous décourageait aucunement. Votre enthousiasme était réjouissant.

 

 Claude ou le « passeur » d’histoires

 Nous avons été aussi, un peu, le témoin de la naissance de quelques-uns de vos écrits, en grande partie à l’intention de vos enfants, afin qu’ils possèdent tous les éléments de l’histoire singulière de cette maison. Je dois dire que j’ai toujours été ému lorsque vous me montriez vos derniers « bébés » et que vous me laissiez parcourir ces feuilles qui régulièrement me révélaient quelques aspects ignorés.

 Je retrouve bien là encore, chez vous, cette volonté de transmettre, coûte que coûte, de passer le témoin, et je crois que vous avez parfaitement réalisé cette tâche, y compris avec cette magnifique et émouvante maquette de la maison.

 Pour tout cet important travail d’écrits que vous avez accompli, auxquels viennent s’ajouter tous les travaux considérables des bâtiments annexes, afin de maintenir à l’ensemble de cette illustre et attachante demeure cette unité, cette symbiose très reposante qui en rehausse tout le charme, soyez en chaleureusement félicité et remercié.

 Et personnellement j’en suis d’autant plus ému et heureux que cette maison me renvoie également à mes propres souvenirs d’enfance, lorsque durant mes années de « prime jeunesse », pour copier « le maître », je venais régulièrement jouer dans cette cour pendant que ma grand-tante discourait avec madame Veuve Froment… 

  

« … La clef ne veut pas tourner. Le vent souffle en rafales chaudes. La maison, obstinément fermée, prend sous le ciel noir la blancheur des vieux logis arabes. Et, tandis que se prolonge mon attente, je regarde au bout de cette petite rue vide, tout de suite finie, tout de suite ouverte sur la campagne sans arbres, je regarde et je reconnais le déploiement de ces champs et de ces marais plats, tout cet horizon de quasi-désert qui, en cet endroit, figurant comme fond de ce quartier mort, me glaçait l’âme pendant mes séjours d’enfant chez les tantes de l’île…

Elle tourne enfin, la clef, et Véronique pousse devant nous la lourde porte.

 Oh ! Comment dire l’émotion de voir réapparaitre, sous ces nuages de deuil, cette cour silencieuse des ancêtres !... Devant la façade intérieure aux auvents fermés, ce vieux perron, ces vieilles dalles verdies, tout cela envahi par la mousse et les herbes !... Je ne prévoyais pas ces aspects de cimetière. Et voici que j’ai le sentiment de pénétrer chez les morts, chez les aïeules mortes. Nulle part autant qu’ici et à cette heure le passé ne m’avait enveloppé de son linceul.

Des fantômes, - mais des fantômes débonnaires et discrets, qui ne feraient aucune peur, - doivent revenir se promener dans cette cour, lorsque le soir tombe : les aïeules en robe noire… ».

 J’ai écrit quelque part, je ne sais où, cette vérité qui, je crois bien, n’était pas neuve : « Les lieux où nous n’avons ni aimé ni souffert ne laissent pas de trace dans notre souvenir ». En revanche, ceux où nos sens ont subi l’incomparable enchantement ne s’oublient jamais plus.

 Claude, je salue votre mémoire et vous remercie très profondément pour cette lumière que vous m’avez apportée.

 

Voilà, cher Claude, au travers de ces quelques lignes nous avons tenté de vous retenir encore un peu parmi nous, mais il est temps de vous remercier vivement et sincèrement pour tout ce que vous avez apporté aux uns et aux autres et de vous dire, non pas adieu, mais au revoir, tant nous savons tous que vous serez encore tellement présent dans nos pensées, dans nos discussions pour les années à venir…

 

                                                                  Nous vous remercions.

 

 

        Daniel Laroche et Didier Catineau

 

Hommage lu en l’église de Saint-Pierre d’Oleron le lundi 22 avril 2013 à l’occasion des obsèques de monsieur Claude Duvignau.